Le Papillon Vert : reportage au château d'Estouilly

Publié le par Philippe MEYRIGNAC

Château d'Estouilly à Ham (Picardie)
Château d'Estouilly à Ham (Picardie)

ESTOUILLY...C'est le lieu mythique ou vécu Charles-Marie de La Condamine, le savant dont la vie est retracée dans le roman historique LE PAPILLON VERT. Voici mon enquête sur le terrain...

Au moment d'écrire les chapitres du roman portant sur l'installation de La Condamine au château d'Estouilly, je me suis rendu sur place afin de mieux m'imprégner de l'atmosphère des lieux. J'ai mis mes pas dans les pas de Monsieur de La Condamine, en suivant les chemins, les sentiers et les carrés boisés entourant l'ancien domaine. J'ai longé la Somme et le canal. J'y ai rencontré je dois le dire une assez vive émotion, tout à fait semblable aux passages du roman ou le Chevalier passe une porte dans son voyage intérieur. Et si je n'ai observé aucun papillon vert remontant le long des vieux murs j'ai tout de même respiré un peu de l'âme du savant-philosophe.

Origine du lieu "Estouily"

D'après "Histoire de l'arrondissement de Péronne" par Paul Decagny : 
Les premiers seigneurs de Ham, en vue de faire valoir des terres incultes de leur domaine situées dans ce lieu dont les séparait la rivière de Somme, y auraient appelé des colons, en leur accordant la moitié des fruits de leur exploitation. Cette villa, composée primitivement de tenanciers dans de semblables conditions, en aura reçu le nom spécial de Stoilli en 1143, Estulli, Sluliacum en 1161; puis quelquefois par altération Estovillé et Haitoulieu. Car Stolli et Estulli dérivent vraisemblablement du mot stollum évoquant  une association de tenanciers pour la moitié des fruits. Cette explication, sans être incontestable, paraît du moins la mieux fondée.
Plan de situation du château d'Estouilly
Plan de situation du château d'Estouilly

Estouilly est situé sur la rivière de la Somme, peu après son entrée dans le département, à environ 400 mètres du canal auquel il est relié par une simple voie pour piétons. Le village est bâti sur un faible coteau au nord de la rivière à une altitude d'environ 60 mètres.

Le Papillon Vert : reportage au château d'Estouilly

C'est une histoire de famille il est vrai un peu compliquée. Charles-Marie de La Condamine, chevalier de Saint-Lazare et membre de l'Académie Royale des Sciences proposa d'épouser sa nièce. En effet, La soeur du Chevalier qui avait épousé un seigneur d'Estouilly était veuve et ne pouvait marier sa fille selon son rang. l'oncle et parrain Charles-Marie épousa donc Marie-Charlotte en 1756 pour le meilleur et pour le pire. D'aucun penseront qu'elle eu le pire d'abord : s'occuper d'un presque vieillard bientôt grabattaire. Mais il semble que le couple fut heureux en ménage. Charles-Marie écrivit en effet :

"D’Aurore et de Tithon vous connaissez l’histoire / Notre hymen en rappelle aujourd’hui la mémoire / Mais  de mon sort Tithon serait jaloux / Que ces liens sont différents des nôtres / L’Aurore entre ses bras vit vieillir son époux / Et je rajeunis entre les vôtres"  (Charle-Marie de la Condamine, Madrigal à Madame de La Condamine, 1756)
Le Papillon Vert : reportage au château d'Estouilly

Charles-Marie de La Condamine, celui que le mon roman désigne par "Le Papillon Vert", fut un temps le seigneur de ce fameux château propriété de la famille Bouzier d'Estouilly depuis plusieurs générations. Imaginons le château à l'époque au milieu des bois, apparaissant au bout d'une belle allée en forme de Mail.

"Tout de suite j’aimai le château qui, terminé au début du siècle, avait cet air à la fois ancien et moderne ancré dans la tradition des constructions du pays Picard mais avec une distinction toute aristocratique. L’impression première provenait de la hauteur du toit d’ardoises, à pente double, très incliné, garni de six cheminées, et percé sur chaque pente de deux lucarnes à fronton, quatre lucarnes à linteau cintré, et deux lucarnes en œil de bœuf. La façade du château renforcée par un chaînage d’angle en pierres taillées avait cette allure de majesté que l’on obtient par des proportions harmonieuses sept ouvertures à l’étage et au rez-de-chaussée surélevé. Ces ouvertures très hautes et en arc surbaissé confirmaient la noblesse de l’édifice."   (Philippe Meyrignac, Le Papillon Vert, Editions Hélène Jacob, 2014)
Ruines du château d'Estouilly
Ruines du château d'Estouilly

Le château fut totalement détruit en Mars 1917.

"Les bombardements des armées prussiennes en mars 1917, lointain héritage des soldats de Frédéric II, eurent raison de ce château de cartes. C’était un obstacle dérisoire entre leurs lignes et Ham, la ville voisine, où la population rassemblée dans la cathédrale Notre-Dame attendait que les prussiens fissent sauter la citadelle. Dans les terres de la Somme dévastée plus un arbre n’était resté debout. Les rangs de peupliers systématiquement abattus gisaient au sol, alignés dans la boue. De bois entiers ravagés par cette guerre ne restaient que des troncs couchés, pourris et des souches décomposées : pas même de quoi se chauffer correctement."  (Philippe Meyrignac, Le Papillon Vert, Editions Hélène Jacob, 2014)

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Le Papillon Vert : reportage au château d'Estouilly

Le Château détruit est aujourd'hui une propriété privée sur laquelle s'est installée une petite entreprise commerciale. Le beau Mail n'est plus qu'une route vers la plaine bordée d'un simple talus et la cour de l'ancien domaine tient lieu de parking (sans commentaires !!).

Le Papillon Vert : reportage au château d'Estouilly
"Comme j’aimais galoper dans les petits matins d’octobre, à la fraîche, lorsque les rayons d’un pâle soleil se faufilaient entre les branches des arbres ! Les ramures, parfois brillantes d’une fine couche de givre, perdaient peu à peu leurs feuilles dorées par le froid et dans les marécages une brume épaisse venait à ma rencontre. Descendant du plateau je m’égarais au milieu des mares avant de retrouver le sentier au milieu d’une envolée d’étourneaux pour redescendre au pas, vers les étangs et le fleuve paisible aux rives escarpées de mille recoins de buissons épineux !"  (Philippe Meyrignac, Le Papillon Vert, Editions Hélène Jacob, 2014)

Dans les passages du livre comme celui-ci j'ai tenté de rendre la nouvelle manière d'écrire après 1750, le pré-romantisme, dont JJ.Rousseau fut le précurseur avec "La Nouvelle Héloïse".

Châteaux disparus du canton de Ham : Athies, Brouchy, Schluss, Douilly, Ennemain, Eppeville, Esmery, Menchy, Sancourt
Châteaux disparus du canton de Ham : Athies, Brouchy, Schluss, Douilly, Ennemain, Eppeville, Esmery, Menchy, Sancourt

Un grand nombre de Châteaux du Canton de Ham ont aujourd'hui disparu.

Similitudes de façade entre Sancourt et Estouilly
Similitudes de façade entre Sancourt et Estouilly
"Quant aux travées de briques disposées à la verticale entre les fenêtres ou à l’horizontale entre les étages elles étaient réalisées non pas « à plat » selon la tradition simple et habituelle des constructions Picardes mais selon un motif en losange fort distingué que je n’ai retrouvé alentour que sur la magnifique tour du château de Sancourt voisin d’Estouilly."   (Philippe Meyrignac, Le Papillon Vert, Editions Hélène Jacob, 2014)
Laissons nous rêver : Hacienda LA CIENAGA en Equateur, Château d'ESTOUILLY au bout de la même allée de grands arbres
Laissons nous rêver : Hacienda LA CIENAGA en Equateur, Château d'ESTOUILLY au bout de la même allée de grands arbres

Le Mail d'Estouilly lui rappelait peut-être l'allée d'arbre de l'Hacienda où il aimait autrefois se reposer en redescendant du volcan Cotopaxi en Equateur.

"C’était pour moi un véritable retour à la nature que les vastes territoires d’Amérique méridionale ne m’avaient pas offert, sauf peut-être à l’Hacienda La Ciénaga. Sur cette terre familière de France je goûtais une délicieuse sensualité retrouvée issue des plaisirs simples de mon enfance dans les collines des Cévennes où je pouvais laisser errer ma nature volage et sensitive."  (Philippe Meyrignac, Le Papillon Vert, Editions Hélène Jacob, 2014)
La Somme (à g) le chemin de hallage du canal (à dr.)
La Somme (à g) le chemin de hallage du canal (à dr.)

Laissons le dernier mot au Poète Picard :

« Vous pouvez, quand juillet, étalant ses merveilles, / Fait de nos gais sentiers d'odorantes corbeilles, / Parcourir nos hameaux, par les grands bois cachés, / Comme de doux oiseaux sous les feuilles nichés. / Estouilly, dont le bois si cher à mon jeune âge / A plus d'un amoureux sert de pèlerinage / Et que la Somme arrose, heureuse et se cachant / Comme un timide amant qui se cache en marchant, / Lorsqu'il va, vers le soir, rôder en sentinelle / Pour, sur le rideau blanc, voir l'ombre de sa belle. »   (La Picardie, revue historique, archéologique et littéraire, Volume 4, Delattre-Lenoel, 1858, Extrait d'un poème inédit intitulé Ham, regard dans le passé.)

Publié dans Roman Le Papillon Vert

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